J'ai vécu une des plus belles expériences de ma vie quand allongé sur le lit de mon père je m'endormais près de lui, sa main dans la mienne ou l'inverse, au risque qu'il s'en aille pendant notre sommeil.
Je n'imaginais pas que mon père, si faible et découragé depuis tant d'années allait se reconstruire en quelques jours pour devenir le père que j'attendais.
J'ai bien vu et j'ai bien senti la force et le pouvoir de vos prières toutes rassemblées.
Le mystère de la foi dont on parle à l'église ne m'a pas semblé bien grand ; j'ai vu la foi simplement.
J'ai eu le sentiment de tenir une main sacrée dans la mienne, celle d'un homme neuf et sage, débordant de vie ; c'était la main d'un mourrant qui réchauffait la mienne, la main de mon père. Dans ma tête, rien de compliqué, de triste ou d'ennuyeux, seul le bonheur régnait. Je le regardais ; il était comme un prince au bois dormant et par sa main tout l'héritage m'était donné.
Alors je m'endormais comme une masse, comme un enfant rempli de tous ses rêves (de concours hippique), sans m'inquiéter de cette mort imminente.
Les trois derniers jours de la vie de mon père ont été des jours heureux.
Le troisième jour, quand j'ai pris la route pour la Sauge je m'expliquais mal les raisons de mon impatience. J'avais égaré mes papiers en changeant de voiture à la gare de Sens et j'ai cherché pendant une heure.
Chacun vous dit : "je tenais à être là quand il est parti". Ma raison était un peu différente ; m'endormir encore une fois près de mon père pour revivre le bonheur de la veille. Je me disais : "Ce soir encore, lui qui a tellement soif te donnera l'eau de son puits". Quand j'arrivai à la Sauge tout était fini depuis une heure. Pendant qu'Ivan et Didile s'affairaient à chercher un médicament égaré, il était parti, sa main dans celle de Marie.
C'est ainsi qu'il est devenu la vieille écorce qu'on deviendra.
Là, sur ce lit, dans cette chambre que j'aimerai un peu plus que les autres désormais, on a pu voir pendant deux jours encore l'image de ce Prince au bois dormant, le Pacha.